La felouque
oubliée - Episode 2
Granny
regardait sa petite fille Inès. Elle avait la bouche semi-ouverte, le regard
concentré sur ce que sa grand-mère s’apprêtait à raconter : l’histoire de
ce collier avec un pendentif en forme de felouque. Au fond de la barque
fabriquée en bois d’olivier, une inscription : nhibbik (je t’aime).
-
Qui
t’a écrit ça grand-mère ?
-
Ne
sois pas si impatiente Inès…Ecoute.
« Ton
grand-père et moi étions mariés depuis déjà quelques années ; comme tu le
sais je l’ai rencontré jeune. Il était très pris par son travail et moi aussi.
Nous n’avions pas encore d’enfants. De façon insidieuse, un fossé s’était
creusé entre nous sans que l’on sache pourquoi. Un soir de l’été 1973, alors
que je regardais un documentaire sur la pêche au poulpe à la gargoulette, je
découvris l’existence des îles de Kerkennah. Il s’agissait d’un archipel au large
de Sfax en Tunisie. Ces paysages m’attiraient. Ils avaient quelque chose de
familier sans que j’en comprenne la raison… Tout s’éclairera par la suite. Le lendemain
matin alors que ton grand-père était absent, je rassemblais quelques affaires
dans une valise et me dirigeas vers l’aéroport. J’ai bien sur laissé un mot à
ton grand-père… « Pardonne-moi de partir comme ça. J’ai besoin de me retrouver
avant de nous perdre complètement. Ne t’inquiète pas pour moi. Je reviendrai
d’ici un mois. Je te donnerai des nouvelles ».
Un voyage vers
lui et moi
J’ai
débarqué à Tunis. Sans hésiter, j’ai hélé un taxi et au bout de 3 h j’ai aperçu
Sfax. Je me souviens de la rue Hédi-chaker ; une magnifique avenue bordée
de vieux lampadaires et de palmiers abritant des salons de thé. Au bout de l’allée,
le splendide hôtel de ville d’une blancheur immaculée. Le cœur de la ville
était en forme de médina mais Sfax était avant tout une ville portuaire.
Arrivée
au port j’embarquais dans un bac (battah). Je souriais à la vue de jeunes
mariés et de leurs invités partant faire la fête du mariage à Chergui. Tout
n’est qu’un éternel commencement me suis-je dit. Ce couple tunisien avait la
fraîcheur de ceux qui croient qu’ils sont les premiers à vivre ces émotions là
et que rien ni personne ne viendra ébranler. La mère de la mariée avait un œil
attentif à sa fille. Dans son regard, on pouvait lire la fierté et l’émotion
d’une mère qui perd son enfant. Nos regards se sont croisés. « Votre fille
a l’air très heureuse » lui ai-je dit. Ses yeux étaient telles
des mares ayant contenu trop longtemps une eau abondante. Les larmes,
silencieuses, coulèrent le long de ses joues.
A
la vue de l’île, mon cœur commençait à palpiter. La certitude d’avoir fait le
bon choix me rendait légère.
Kerkennah, antre de mon cœur
A
l’embarcadère de Sidi youssef, une foule chamarrée grouillait. Des animations et des stands avec sur les banderoles "Festival du poulpe de Kerkennah" (مهرجان الأخطبوط قرقنة’ ). Par cette manifestation, les kerkenniens célébraient leurs traditions. Le poulpe était d’ailleurs l’emblème de cet
archipel ainsi que la felouque, un bateau utilisé par les pêcheurs.
-
Ah
je comprends mieux ce poulpe gravé sur ton coffre à bijoux, Granny.
-
Oui
ma chérie. Et ce pendentif en forme de felouque… Mais laisse-moi reprendre le
fil de mon histoire Inès…
Une
marchande de poissons me conseilla de prendre une chambre au Dar Kerkennah (la maison de Kerkennah) ;
ce que je fis. Simple, propre et suffisamment isolé près d’une palmeraie pour
être au calme. C’était juste ce qu’il me fallait. Le sac à peine posé je me
sentais chez moi.
La rencontre
Je
suis ensuite allée déjeuner dans un restaurant appelé "Chez Najet". Je me suis
régalée de tchich bel karnit, de spaghettis aux fruits de mer, de couscous aux
seiches, de tastira et pour finir de la bsissa et des figues sèches avec un thé à la menthe. Je voulais
tout goûter !! Je ne me souvenais pas de
la dernière fois où j’ai eu autant de plaisir à savourer des plats.
Ensuite
je suis allée sur une plage. J’ai enlevé mes chaussures et suis restée un
moment les pieds dans l’eau à regarder l’horizon.
-
Bonjour.
Vous me permettez de prendre une photo ? On ne verra pas votre visage
rassurez vous.
Je
me retournais vers cette voix au timbre si particulier et au léger accent. Et
là je le vis. Il était grand, les cheveux bruns, les yeux noirs avec le regard
de ceux qui voient au-delà de ce qui est montré. Autour de son cou, un appareil
photo digne d’un professionnel. Il était pieds nus.
Nous
sommes restés de longues minutes à nous regarder comme si nous nous
retrouvions. Je le voyais pour la première fois et pourtant j’avais le
sentiment de le connaître déjà. Je lisais la même chose dans ses yeux. Il regardait mes pieds nus le sourire sur les lèvres.
-
Alors ?
-
Pardon ?
bredouillais-je
-
La
photo. Je peux la prendre ? La lumière sera différente dans quelques
minutes. Le reflet dans vos cheveux bouclés est magnifique. L'intensité de votre regard n'en sera que plus beau.
Je
lui répondis d’un sourire entendu.
Sur les braises du souvenir
Sur les braises du souvenir
Granny
soupira. Les souvenirs semblaient la remuer.
-
Ça
va Granny ?
-
Oui
ma chérie. C’est juste que j’avais cru enterrer cette partie de ma vie et me
voilà à la palper de mes mots comme si c’était hier. Mes forces déclinent en
cette fin de journée Inès. Reprenons tout cela demain veux tu ? Et puis
ton grand-père ne va plus tarder.
Inès
ne réussit pas à fermer l’œil de la nuit. Mille questions se bousculaient dans sa
tête. Grand-père était il au courant ? Granny avait donc aimé un autre
homme que grand-père. Toutes ses certitudes s’envolaient et en même temps
Granny, par son histoire, réveillait un espoir nouveau en elle. Comme il lui
tardait d’être à demain !!
La suite de "La
Felouque oubliée" au prochain épisode
ZE VENUS ZB, 8
mai 2014
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