La felouque
oubliée – Episode 6
La
traversée pour Sfax a été douloureuse. Dihem lui manquait déjà au point d'en avoir mal dans tout son corps. Pour autant Tassadit savait au fond d’elle-même qu’elle
ne disait pas adieu à Kerkennah. Elle reviendrait ici un jour ; c’était
une évidence. Elle retrouverait Dihem et poursuivrait cette belle histoire d’amour.
Sagesse et
transmission
Inès
regardait Granny avec étonnement et ne put s’empêcher de l’interrompre une
nouvelle fois.
-
J’ai
du mal à te suivre Granny. Comment pouvais tu quitter Dihem alors que de toute
évidence, il était l’homme de ta vie… ?
-
Le
blanc et le noir ne sont pas les seules couleurs de l’amour ma chérie. La
palette de l’amour comporte des nuances et des stries. Dihem et moi étions très
amoureux mais nous savions l’un et l’autre que le temps n’était pas venu pour
laisser éclore et s’épanouir cet amour. Dihem savait plus que moi combien à ce
moment là j’avais besoin d’un homme comme ton grand-père. J’étais fougueuse à
cet âge… impétueuse et passionnée. Eric m’offrait cette tempérance nécessaire
et puis son amour était un ancrage solide, stable ; comprends tu ?
-
Mais
et toi l’aimais tu ?
- Bien sûr. Crois-tu,
Inès, que l’on ne puisse pas aimer plusieurs personnes dans une vie ? Je sais
que tu as grandi avec ce syndrome du prince charmant mais tout de même… On aime
différemment les hommes qui partagent avec nous un bout de chemin et cela est
de l’amour… Il est des hommes que l’on aime toute une vie ; d’autres dont
les sentiments s’éteignent en même temps que l’histoire écrite ensemble… Ne
reste pas enfermée, Inès, dans un carcan de stéréotypes. Tu dois créer ton
portrait de l’amour. Du moment qu’il est en accord avec ce que tu es
profondément et qu’il est partagé avec ton autre, alors tu seras heureuse.
Inès
regardait Granny avec admiration et fierté. Elle réalisait la chance d’avoir une
grand-mère pleine de sagesse et de bénéficier de son expérience.
-
Qu’est
il advenu ensuite Granny ? Quand tu as retrouvé grand-père ?
-
Ils
vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants ! dit Granny en éclatant de
rire.
La
suite ma chérie est l’histoire de notre famille. En disant cela, Granny sortit
de son sac 3 livrets blancs.
-
Tout
est là Inès. L’histoire de ton grand-père et moi. Cette histoire est également
la tienne et celle de tes frères et sœurs.
-
Merci
Granny. Je réalise la confiance que tu me portes et j’en suis touchée. Je ne veux
pas que tu meurs Granny…
-
Nous
partons tous un jour Inès. Je trouvais triste de partir sans laisser aux gens
que j’aime la connaissance de ce qu’a été vraiment ma vie. N’oublie pas que j’ai
été heureuse Inès ; c’est le plus important. Eric et moi avons partagé de
merveilleuses années.
Quand le destin
s’en mêle
Granny
et Inès furent interrompues dans leur discussion par un appel sur le portable
de Granny.
-
Madame
Bounès ?
-
Oui.
Qui êtes vous ?
-
La
police Madame. Votre mari a été victime d’un accident de la route. Il vous faut
venir immédiatement ; c’est grave.
Granny
laissa tomber le téléphone et perdit connaissance. Inès prit le téléphone et en
une phrase du policier comprit que son grand-père n’était plus de ce monde.
Inès
aida sa grand-mère à retrouver ses esprits. Elle l’installa dans la voiture
tant bien que mal car Granny était dans un état second ; mutique et le
regard vide.
Elle
roula aussi vite qu’elle le put et arriva en une demi heure à l’hôpital indiqué
par le policier.
Eric et Granny
Chambre
63.
Il
était là dans cette pièce d’un silence et d’un froid morbides. Un simple drap
blanc le recouvrait. Inès, les yeux en larmes, aida Granny à s’asseoir sur le
bord du lit.
-
Laisse-moi
Inès. Je…j’ai… besoin d’être seule avec lui. Sois gentille et préviens tout le
monde je n’en ai pas la force.
Inès
fit ce que sa grand-mère lui demanda. Elle s’installa dans la salle d’attente
au bout du couloir, inspira de longues minutes pour retrouver un peu de voix
puis elle contacta tous les membres de la famille un par un.
Granny
tenait la main d’Eric. Comme elle était froide et rigide cette main qu’elle a
tenue de longues années durant. Granny ne pouvait se résoudre à ce qu’Eric ne
se réveille pas. Pourquoi maintenant ? se demandait Granny.
Elle
s’allongea près d’Eric, l’enlaça tendrement et fixa le mur d’un blanc immaculé.
Elle laissa défiler les souvenirs engrangés avec Eric comme un film en noir et
blanc en vitesse accélérée.
La suite de La
Felouque oubliée dans le prochain épisode
ZE VENUS ZB, 30 mai 2014