Une enfance kabyle
Laissez-moi vous emmener dans le
village de mon enfance ; au-delà de la méditerranée avec le panorama
majestueux de la chaîne montagneuse de Djurdjura. Les rues ne sont pas pavées.
La terre battue caillouteuse empêche les moins aguerris de sortir pieds nus, ce
qui est l’habitude pour les anciens. Ma grand-mère me disait qu’elle ne sentait
plus la dureté du sol et avait même l’impression d’avoir des chaussures. D’aussi
loin qu’il lui en souvienne, elle n’a jamais été blessée aux pieds…
Une ou deux épiceries par village
offraient des produits de première nécessité et bien souvent à l’unité (savons,
piles, stylos, feuille de papier, etc..). Les bonbons aussi étaient vendus à l’unité
et lorsqu’on avait la chance d’en acheter un, on le savourait de longues, très
longues minutes. Quelle que soit la denrée, nous la dégustions avec lenteur,
comme si on avait pleinement conscience que cela pouvait être la dernière fois
que nous en mangions. Aussi jeunes que nous étions, nous avions la notion de ne
pas gaspiller. L’école ne commençait qu’à 7 ans donc nous avions de belles
années faites uniquement de jeux en plein air. Notre préféré était le jeu des
osselets ; des jolies pierres qui nous servaient d’osselets et que nous
passions des heures à chercher. Nous arrivions toujours à dénicher un pneu
usagé que nous faisions rouler à l’aide d’une tige en fer que nous fabriquions
nous mêmes. A l’aide de papier journal, nous façonnions un ballon dont nous
étions fiers. Quand nous en avions assez de courir et d’explorer les ruelles du
village, nous allions retrouver notre grand-père qui avait toujours une
histoire à nous raconter. Il les commençait toujours par la formule consacrée « Amachaho
thalemchaho » que l’on peut traduire par « Il était une fois ».
Nous passions des heures à l’écouter
à l’ombre de notre majestueux olivier. Ces oliviers présents devant chaque maisonnette
apportaient un précieux ombrage lors des chaleurs torrides. Ils étaient aussi les
témoins des histoires de chaque famille sur des générations…. Ah s’ils
pouvaient parler…
Les maisonnettes étaient des
maisons de plein pied dont les pièces étaient construites autour de la cour à
ciel ouvert. Il n’y avait pas l’eau courante. Nous allions chercher au puits l’eau
précieuse et rare dont nous emplissions les jarres, les bidons et tout
contenant. Plus tard, nous avions un robinet dans chaque maison ce qui a
épargné les femmes des nombreux allers retours au puits. Cette tâche était
dévolue uniquement aux femmes car elle faisait partie des tâches domestiques dont
les hommes étaient dispensés. Du temps de ma grand-mère, il n’y avait pas l’électricité.
Les maisonnettes ont été équipées bien plus tard. Cela a été une sacrée avancée
car elle a permis aux familles d’avoir leur premier frigo. Lors de l’acquisition,
ils restaient vides quelque temps avant que les familles se décident à l’utiliser.
Ce bien moderne était précieux, il fallait le garder propre et finalement
quasiment le « dompter » avant de s’en servir… Et oui, les biens d’équipement
ne sont pas une évidence pour tout le monde…
Les rues en revanche n’étaient
pas éclairées. Les villageois qui s’aventuraient dehors à la tombée de la nuit
étaient soient des anciens qui avaient l’habitude de se repérer dans le noir ou
des personnes qui avaient les moyens de s’acheter des lampes torches.
Les pièces autour de la cour à
ciel ouvert étaient bien souvent et suivant la taille de la famille une ou deux
chambres, une salle à manger-salon avec une table basse et des tabourets aussi
bas fabriqués par mon grand-père, une cuisine avec un foyer à même le sol puis
par la suite des réchauds branchés à des bouteilles de gaz pour arriver au summum
de la modernité : une gazinière. Une pièce était destinée à la toilette
(le sol était prévu pour être constamment mouillé) que l’on faisait en
remplissant un ou deux seaux d’eau (davantage aurait été du gaspillage). Nous
en gardions toujours un peu pour nettoyer après notre passage. Les toilettes
étaient dans la même pièce. Il s’agissait en fait d’un trou dans la terre qui
arrivait à une sorte de fosse septique. Une pierre plate imposante la
recouvrait. J’avais la peur étant enfant de tomber dans cette fosse et j’évitais
de trop pousser la pierre…. Cette pièce n’était pas du tout éclairée… Lorsqu’un
besoin se faisait sentir le soir, je prenais mon courage à deux mains pour
traverser la cour et atteindre cette pièce. Je redoutais de tomber sur des
rats, qui à hauteur d’enfant et en pleine nuit, étaient effrayants. Et qui dit
village dans les montagnes dit aussi des serpents… On les voyait rarement et
personne n’a jamais été blessé dans mon entourage. J’ai souvenir d’avoir vu ma
mère tenter d’en chasser un qui s’était égaré dans notre cour. N’y arrivant
pas, elle l’avait tué avec une simple balayette faite de feuilles tressées….
La cour à ciel ouvert nous
permettait de nous retrouver la journée, d’y manger parfois, de faire la sieste
sur une simple natte tressée posée à même le sol en dur, de laver du linge.
Nous n’avions en effet pas de machine à laver et là encore ce sont les femmes
qui s’occupaient de cette dure tâche. Lorsqu’elles devaient laver des draps,
elles se rendaient près du torrent du village (Izgher = torrent), et ce, hiver
comme été….
Les toits des maisons servaient à
étendre le linge, ou à faire sécher des morceaux de mouton salés. C’était la
méthode utilisée pour conserver les viandes.
La présence des nombreux oliviers
sur les terrains de chaque famille leur permettaient de faire presser les
olives au pressoir du village et ainsi d’avoir dans des jarres immenses l’huile
précieuse. Elle servait à la consommation courante et également comme produit
de beauté pour les femmes (une merveille sur les cheveux).
Les journées de tout le village
étaient rythmées par l’arrivée de l’eau (vers 6 h du matin ; en milieu de
journée puis en fin de journée). Bien souvent, le village était endormi de 12 h
à 15 h car il faisait trop chaud. Un temps utilisé par petits et grands pour
faire la sieste.
Les hommes, femmes, anciens,
enfants, vaquaient à leurs occupations respectives dans une jolie harmonie.
Tout le monde se retrouvait le soir autour du repas et des veillées que les
anciens animaient de leurs histoires d’antan ou en musique quand un ou deux
jeunes prenaient sa guitare et chantaient des chansons que tout le monde
fredonnait.
Au-delà du plaisir de partager
ces souvenirs d’enfance et de laisser une trace à mes enfants, il s’agit aussi
de faire vivre mes racines. Et comme le dit le fameux adage « il faut
savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va »….
ZE VENUS ZB, 29 avril 2013
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