mercredi 1 mai 2013

Souvenirs de ZE VENUS - L'enfance kabyle


Une enfance kabyle

Laissez-moi vous emmener dans le village de mon enfance ; au-delà de la méditerranée avec le panorama majestueux de la chaîne montagneuse de Djurdjura. Les rues ne sont pas pavées. La terre battue caillouteuse empêche les moins aguerris de sortir pieds nus, ce qui est l’habitude pour les anciens. Ma grand-mère me disait qu’elle ne sentait plus la dureté du sol et avait même l’impression d’avoir des chaussures. D’aussi loin qu’il lui en souvienne, elle n’a jamais été blessée aux pieds…

Une ou deux épiceries par village offraient des produits de première nécessité et bien souvent à l’unité (savons, piles, stylos, feuille de papier, etc..). Les bonbons aussi étaient vendus à l’unité et lorsqu’on avait la chance d’en acheter un, on le savourait de longues, très longues minutes. Quelle que soit la denrée, nous la dégustions avec lenteur, comme si on avait pleinement conscience que cela pouvait être la dernière fois que nous en mangions. Aussi jeunes que nous étions, nous avions la notion de ne pas gaspiller. L’école ne commençait qu’à 7 ans donc nous avions de belles années faites uniquement de jeux en plein air. Notre préféré était le jeu des osselets ; des jolies pierres qui nous servaient d’osselets et que nous passions des heures à chercher. Nous arrivions toujours à dénicher un pneu usagé que nous faisions rouler à l’aide d’une tige en fer que nous fabriquions nous mêmes. A l’aide de papier journal, nous façonnions un ballon dont nous étions fiers. Quand nous en avions assez de courir et d’explorer les ruelles du village, nous allions retrouver notre grand-père qui avait toujours une histoire à nous raconter. Il les commençait toujours par la formule consacrée « Amachaho thalemchaho » que l’on peut traduire par « Il était une fois ».

Nous passions des heures à l’écouter à l’ombre de notre majestueux olivier. Ces oliviers présents devant chaque maisonnette apportaient un précieux ombrage lors des chaleurs torrides. Ils étaient aussi les témoins des histoires de chaque famille sur des générations…. Ah s’ils pouvaient parler…

Les maisonnettes étaient des maisons de plein pied dont les pièces étaient construites autour de la cour à ciel ouvert. Il n’y avait pas l’eau courante. Nous allions chercher au puits l’eau précieuse et rare dont nous emplissions les jarres, les bidons et tout contenant. Plus tard, nous avions un robinet dans chaque maison ce qui a épargné les femmes des nombreux allers retours au puits. Cette tâche était dévolue uniquement aux femmes car elle faisait partie des tâches domestiques dont les hommes étaient dispensés. Du temps de ma grand-mère, il n’y avait pas l’électricité. Les maisonnettes ont été équipées bien plus tard. Cela a été une sacrée avancée car elle a permis aux familles d’avoir leur premier frigo. Lors de l’acquisition, ils restaient vides quelque temps avant que les familles se décident à l’utiliser. Ce bien moderne était précieux, il fallait le garder propre et finalement quasiment le « dompter » avant de s’en servir… Et oui, les biens d’équipement ne sont pas une évidence pour tout le monde…

Les rues en revanche n’étaient pas éclairées. Les villageois qui s’aventuraient dehors à la tombée de la nuit étaient soient des anciens qui avaient l’habitude de se repérer dans le noir ou des personnes qui avaient les moyens de s’acheter des lampes torches.

Les pièces autour de la cour à ciel ouvert étaient bien souvent et suivant la taille de la famille une ou deux chambres, une salle à manger-salon avec une table basse et des tabourets aussi bas fabriqués par mon grand-père, une cuisine avec un foyer à même le sol puis par la suite des réchauds branchés à des bouteilles de gaz pour arriver au summum de la modernité : une gazinière. Une pièce était destinée à la toilette (le sol était prévu pour être constamment mouillé) que l’on faisait en remplissant un ou deux seaux d’eau (davantage aurait été du gaspillage). Nous en gardions toujours un peu pour nettoyer après notre passage. Les toilettes étaient dans la même pièce. Il s’agissait en fait d’un trou dans la terre qui arrivait à une sorte de fosse septique. Une pierre plate imposante la recouvrait. J’avais la peur étant enfant de tomber dans cette fosse et j’évitais de trop pousser la pierre…. Cette pièce n’était pas du tout éclairée… Lorsqu’un besoin se faisait sentir le soir, je prenais mon courage à deux mains pour traverser la cour et atteindre cette pièce. Je redoutais de tomber sur des rats, qui à hauteur d’enfant et en pleine nuit, étaient effrayants. Et qui dit village dans les montagnes dit aussi des serpents… On les voyait rarement et personne n’a jamais été blessé dans mon entourage. J’ai souvenir d’avoir vu ma mère tenter d’en chasser un qui s’était égaré dans notre cour. N’y arrivant pas, elle l’avait tué avec une simple balayette faite de feuilles tressées….

La cour à ciel ouvert nous permettait de nous retrouver la journée, d’y manger parfois, de faire la sieste sur une simple natte tressée posée à même le sol en dur, de laver du linge. Nous n’avions en effet pas de machine à laver et là encore ce sont les femmes qui s’occupaient de cette dure tâche. Lorsqu’elles devaient laver des draps, elles se rendaient près du torrent du village (Izgher = torrent), et ce, hiver comme été….

Les toits des maisons servaient à étendre le linge, ou à faire sécher des morceaux de mouton salés. C’était la méthode utilisée pour conserver les viandes.

La présence des nombreux oliviers sur les terrains de chaque famille leur permettaient de faire presser les olives au pressoir du village et ainsi d’avoir dans des jarres immenses l’huile précieuse. Elle servait à la consommation courante et également comme produit de beauté pour les femmes (une merveille sur les cheveux).

Les journées de tout le village étaient rythmées par l’arrivée de l’eau (vers 6 h du matin ; en milieu de journée puis en fin de journée). Bien souvent, le village était endormi de 12 h à 15 h car il faisait trop chaud. Un temps utilisé par petits et grands pour faire la sieste.

Les hommes, femmes, anciens, enfants, vaquaient à leurs occupations respectives dans une jolie harmonie. Tout le monde se retrouvait le soir autour du repas et des veillées que les anciens animaient de leurs histoires d’antan ou en musique quand un ou deux jeunes prenaient sa guitare et chantaient des chansons que tout le monde fredonnait.

Au-delà du plaisir de partager ces souvenirs d’enfance et de laisser une trace à mes enfants, il s’agit aussi de faire vivre mes racines. Et comme le dit le fameux adage « il faut savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va »….
ZE VENUS ZB, 29 avril 2013







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