dimanche 19 mai 2013

BILLET D'HUMEUR DE ZE VENUS - VISA POUR LA LIBERTE


Visa pour la liberté

Elle avait mis du temps avant de se décider. Que craignait-elle au fond ? Elle n’en savait rien. Inès est arrivée en France à l’âge de 8 ans. Elle s’est vite intégrée (voire assimilée pour certains…). Ayant grandi à Paris dans le quartier du 17e elle n’avait pas subi de remarques racistes malgré ses yeux frisés couleur ébène et ses yeux noisettes aux cils noircis au khôl.

Ses études se sont faites sans encombre ou presque dans une école primaire parisienne puis dans un collège et lycée de banlieue. C’est d’ailleurs au collège qu’elle a côtoyé des « beurs » pour la première fois. L’environnement d’Inès dans son quartier parisien était surtout fait de personnes âgées n’ayant pas connu d’autre pays que la France. Inès ne comprenait pas pourquoi l’on appelait ces jeunes nés en France « beurs »…. Son étiquette à elle était « immigrée »… A vrai dire à l’âge de 18 ans elle ne savait vraiment qui elle était, d’où elle venait et ce qu’elle faisait là. Sa seule certitude était qu’elle devait vivre là.

Ses années adolescentes lui ont permis de confronter son expérience à celle des autres. Ainsi elle a pu écouter ces « beurs » vivant pour certains en communauté et  pour d’autres dans le rejet de tout ce qui pouvait s’apparenter à leur origine. Inès a palpé ce mal être de près sans en comprendre le sens. Elle a vu les grands frères de ses amis lycéens errer en vain dans le quartier car ils ne trouvaient pas de travail du fait de leur statut d’immigrés… En guise de pièce d’identité, ils avaient une carte de séjour. Inès ne voulait pas vivre ce même calvaire…
 
Parcours pour le visa de la liberté

En ce jour de novembre 1989, Inès s’est enfin décidée à compléter la demande de nationalité française par naturalisation. Elle devait maintenant se rendre à la préfecture. D’après ses informations, seules 10 personnes étaient reçues par jour et pour être sures d’êtres prises, les demandeurs devaient se présenter plusieurs heures avant l’ouverture des bureaux à 9h.

Inès appela un taxi car aucun transport en commun ne circulait à une heure aussi matinale. En effet, elle s’était décidée à se présenter à la préfecture à 3 h du matin pour être sure d’avoir un ticket.
Le chauffeur de taxi qu’elle avait réservé arriva à 2 h 30 devant chez elle.
« Bonsoir, où voulez vous aller mademoiselles ? »
« A la préfecture svp « 
« Pardonnez mon indiscrétion mais qu’est ce qu’une jeune fille comme vous va faire devant la préfecture à cette heure ci ? »
« Déposer une demander de naturalisation »
Le chauffeur était dubitatif. Il effectua la mission, avec dans les regards qu’il lançait à Inès dans le rétroviseur, des doutes et des interrogations.
Arrivés dans la rue de la préfecture, le chauffeur constata que derrière des balustrades délimitant une allée le long du trottoir de la préfecture, une file d’attente se constituait.
Le chauffeur là encore en bégaya d’étonnement : « Que font ces personnes à cette heure, dans ce froid glacial, devant la préfecture ?? » (NDLR : n’oublions pas que nous sommes en hiver, par un soir de novembre…)
« Ils vont sans doute comme moi déposer un dossier, répondit Inès »

Elle prit le temps d’expliquer la procédure au chauffeur qui découvrait un autre monde…
Le chauffeur précisa qu’il n’était que 3 h du matin et que les bureaux n’ouvriraient qu’à 9 h du matin soit dans 6 h. Il s’inquiétait de ce qu’Inès allait attendre debout dans le froid et dans une rue sombre. Inès le rassura en lui disant d’ailleurs qu’elle resterait bien là à en échanger avec lui mais qu’au vu de la file d’attente de 7 personnes, il ne restait que 3 places pour être parmi les 10 rendez vous du jour.
Le chauffeur l’accompagna et, ému par ce qu’il venait de découvrir, il refusa qu’Inès lui paie la course.
Inès était très touchée par cette rencontre et réconfortée malgré la longue attente qui l’attendait…

De la bestialité primaire...

7 personnes devant elle. Le premier était un béninois arrivé à minuit et muni de deux couvertures. Il était déjà venu à deux reprises mais n’avait pas été pris d’où son arrivée précoce.
A mesure que les heures passaient, Inès sentait ses membres s’engourdir et bientôt elle était comme figée n’arrivant plus à bouger ses doigts….

 8 h 30. Plus personne ne parlait. Tout le monde économisait le peu d’énergie qu’il lui restait pour lutter contre ce froid glacial. Inès observait cette balustrade derrière laquelle ils s’étaient tous amassés…. Telles des bêtes pensait-elle… Quel spectacle pitoyable…

8 H 45. Un agent de la préfecture se présenta aux grilles. L’homme de « minuit » avait eu la bonne idée sans en parler de noter les noms et prénoms des 10 premières personnes relevés au cours des échanges entre nous. Inès comprit très vite pourquoi.

A 15 minutes de l’ouverture des bureaux, des personnes arrivèrent et supplièrent les « 10 premiers » de laisser leur place moyennant pour certains de l’argent, pour d’autres prétextant une femme ou un enfant malade en se mettant à genoux….
 
Aucune personne ne céda sa place. Inès que tout le monde qualifiait d’infiniment gentille et empathique sortit les griffes et agressa verbalement tous ceux qui lui proposèrent d’acheter sa place ou de la lui céder pour des raisons obscures…. Elle resta aux aguets et ne parlait plus mais aboyait sur ces personnes… Elle ne se reconnaissait plus…

Après avoir passé les grilles, elle arriva dans la salle d’attente, après avoir davantage titubée que marchée du fait de ses membre ankylosés. Inés s’écroula sur la chaise et s’effondra en larmes… L’attente inhumaine dans le froid sur un trottoir balisé avait rendu toutes les personnes pires que des bêtes…. Inès n’avait pas échappé au lot et c’est ce qui la bouleversait le plus….

 Liberté, Egalité, Fraternité...

Inès entra dans le bureau de la fonctionnaire chargée de la questionner. Inès avait conscience que chaque réponse comptait pour espérer obtenir la fameuse nationalité française.

En vrac les questions étaient : « avez-vous encore de la famille au pays ? » « Correspondez-vous avec votre famille ? » « En quelle langue échangez-vous ? » « Vous rendez vous encore dans votre pays d’origine ; si oui pourquoi ? » « Comptez-vous y retourner plus tard ? » « Prévoyez-vous de faire venir de la famille ? ». Les questions suspicieuses mettaient mal à l'aise....

Puis la fonctionnaire l’incita avec fermeté à changer de prénom et à le franciser. Sans attendre de réponse, et le sylo à la main elle fit quelques suggestions à Inès.

Inès était interloquée…. « Vous me demandez d’abandonnez mon prénom de naissance, qui fait mon identité pour un prénom choisit dans un bureau en fonction de votre choix ?? »… Inès se paya le toupet d’ajouter « Accepteriez vous Madame qu’on vous change votre prénom de façon arbitraire et brutale ? ». La fonctionnaire lui répondit « Ce n’est pas obligatoire, mais cela augmente vos chances d’être naturalisée… ».
Inès resta sur sa position et se cramponna au peu d’énergie dont elle était encore pourvue… C'était une question de dignité...

11 h. Enfin à l’air libre après cet entretien d’une heure. La fonctionnaire lui avait assuré que l’obtention de la nationalité française serait pour « une fille comme elle » (NDLR : que voulait-elle dire ?) une formalité… Sur le trottoir arpenté toute la nuit, Inès se retourna et sur le fronton de la grille ces trois mots « Liberté, Egalité, Fraternité »….

Le dernier avait manqué à ces immigrés venus comme elle demander d’être accueillis comme l’un des leurs et qui ont été traités comme des bestiaux. L’égalité, peut être pour les titulaires de la carte d’identité française se dit elle… (NDLR : un leurre comme elle s’en apercevra plus tard…).  La liberté …. Le seul hymne, selon elle, à chanter dans toutes les langues….

Inès est repartie de cette préfecture différente de ce qu’elle était en arrivant…. Un rendez-vous qui restera à jamais gravé dans sa mémoire…

 

ZE VENUS ZB, le 18 mai 2013

 

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